RENCONTRE AVEC LE RÉALISATEUR LAWRENCE VALIN
Impossible de rester indifférent face à « Little Jaffna » un thriller signé Lawrence Valin. A la fois thriller mais aussi un film sur la double identité. Rencontre avec Lawrence Valin portant la double casquette d’acteur et réalisateur. Thibaut Demeyer et Brigitte Lepage à Namur.
Après avoir enthousiasmé Venise et Toronto, « Little Jaffna » séduit le Festival du Film Francophone de Namur. Nous sommes en 2008 à Paris, Michael Beaulieu, un jeune flic issu des bas-fonds, est désigné par la DCRI pour infiltrer une organisation indépendantiste tamoule, afin d’en faire tomber l’un de ses plus grands argentiers. Mais en plongeant dans cette communauté, Michael va peu à peu s’identifier à ceux qu’il doit détruire.
Lawrence Valin, cette histoire d’infiltration, est-ce une fiction ou une réalité ?
Il y a toujours une part de réalité mais il n’y a pas eu d’infiltré désigné par le gouvernement français pour approcher les Tigres Tamouls, non. Par contre, toute la collecte qu’il y a eu, ça oui, mais pas de la manière dont je la présente façon Scorsese. Il n’y a jamais eu personne qui s’est fait trucider sur un toit à coup de batte de cricket par exemple. (Rires).
Ce film parle du conflit au Sri Lanka mais aussi d’identité. Pourquoi était-ce si important pour vous ?
Il était important pour moi de parler de ce conflit parce que je voulais aborder la double identité, comprendre ce qu’est d’être Français et comprendre aussi ce qu’est d’être Tamoul, comprendre ce qu’est d’avoir les deux identités. Je suis Français, je suis né en France. Je fais partie de cette première génération où lorsque ma mère et ma grand-mère sont arrivées en France, elles ne cessaient de me dire que je devais être Français. A la maison, on parlait français. Par la force des choses, j’ai mis de côté mes origines jusqu’au jour où j’ai commencé à exercer en tant que comédien. C’est à ce moment que mes origines sont arrivées au-devant. J’ai alors très vite compris que je devais passer de l’autre côté, derrière la caméra. J’ai donc commencé à écrire et puis, j’ai eu la chance d’être pris à la FEMIS où j’ai tout appris.
En tant que réalisateur, on m’avait conseillé de parler d’un sujet dont on est proche. C’est donc tout naturellement que j’ai parlé du quartier « Little Jaffna », qui se situe dans le XVIIIe arrondissement de Paris. C’est dans ce quartier où, dans les années 80 – 90, les Tamouls qui fuyaient la guerre arrivaient. Pour avoir un sentiment de pays, ils ont créé tout un tas de boutiques pour se dire qu’ils ne sont pas si dépaysés que cela en arrivant en France.
Vous-même avez-vous été victime de racisme durant votre enfance, voire encore maintenant ?
Je n’ai jamais rencontré de problème d’intégration. Ce n’est qu’au moment où j’ai voulu faire du cinéma en tant qu’acteur que je me suis rendu compte que je n’avais que très peu d’opportunité. Et si j’ai réalisé ce film, c’est pour créer ma place sans tomber dans la victimisation demandant que l’on nous donne la chance. Ma chance est que ce film est français, que tous les financements sont français. C’est une opportunité de dingue d’être en France car en Inde, je n’aurais jamais eu la possibilité de le financer ou alors, il n’y aurait eu que des blancs. En plus, il n’y a pas de tête d’affiche, pas de stars connues en France alors que par exemple l’actrice, qui campe le rôle de ma grand-mère, elle est l’équivalente d’Isabelle Huppert en Inde. Le pari de ce film est donc d’attirer un maximum de public sans tête d’affiche.
En fait, « Little Jaffna » est un film de genre
En effet, ce n’est pas qu’un film communautaire qui parle des Tamouls et de leur histoire. C’est aussi un thriller d’infiltration. C’est ce qui me permet d’avoir tous les codes d’un film de genre comme l’est « Little Jaffna ». Je me dis que le spectateur va vouloir voir un film où il y a du suspens, de l’action, de grosses blagues à la « Die Hard » etc. C’est le cinéma que j’ai envie de défendre, un cinéma populaire couplé au cinéma d’auteur où l’on va parler du conflit au Sri Lanka, de la double identité sans que cela n’en devienne lourd. J’avais envie que ce film soit quelque chose de divertissant, que le spectateur puisse passer un très bon moment cinéma. Ça c’est très important pour moi.
Un tel projet a-t-il été compliqué à financer ?
J’ai mis énormément de temps à écrire le scénario, je tenais à ce qu’il soit le plus solide possible. Nous avons été six scénaristes à écrire sur ce film, j’ai pris 5 ans à l’écrire. C’était très important pour moi que le scénario, une fois posé sur une table, on se dise « impossible de passer à côté ». Le financement s’est fait en même pas 4 mois ! Nous avons bénéficié de l’avance sur recette. Pour un premier film, nous avons eu 4,2 millions d’euro, ce qui n’est pas mal du tout.
« LITTLE JAFFNA » : UN GRAND FILM
Avec « Little Jaffna », derrière sa thématique de double identité et du conflit au Sri Lanka où le génocide n’a toujours pas été reconnu, Lawrence Valin nous offre une œuvre passionnante, avec plusieurs niveaux de lecture, qui va enthousiasmer un très large public. S’il y a de l’action, elle n’est jamais exponentielle, la violence est par moment présente mais pas appuyée, le sujet est interpellant sans pour autant être accusateur et le message est le reflet de l’intelligence du réalisateur qui ne cherche pas la polémique mais bien le plaisir du spectateur sur fond d’une histoire qui devrait nous faire réfléchir. Avec « Little Jaffna » on est face à un grand film que l’on ne peut que vous conseiller.
(c) photo d’accroche : Brigitte Lepage
0 commentaires