Cannes 2021 : Ozon Vs Gainsbourg

Juil 9, 2021 | ACTUALITES, Festival de cannes

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Par Thibaut Demeyer, depuis la Croisette

François Ozon avec « Tout s’est bien passé » nous a offert la première grande émotion de cette édition 2021 alors que Charlotte Gainsbourg avec « Jane par Charlotte » nous a plutôt embarrassé avec son documentaire sur sa célèbre maman Jane Birkin.

Un an après son œuvre polémique « Grâce à Dieu » sur la pédophilie dans le milieu ecclésiastique, François Ozon, un habitué de la compétition cannoise, nous propose une histoire vraie traitant du droit de mourir dans la dignité. Une œuvre que l’on pourrait imaginer politique ou tout du moins polémique. Mais telle n’était pas la volonté du réalisateur : « je n’ai pas voulu faire un film à thème. Ce qui m’intéressait c’était cette intimité, cette relation entre le père et ses filles » nous a confié François Ozon.

C’est la quatrième fois que le réalisateur de « Jeune et jolie » se retrouve en compétition. Pour ce nouveau film, il a adapté le roman, au titre éponyme, d’une de ses amies, malheureusement décédée, en l’occurrence Emmanuèle Bernheim. Il n’a donc rien inventé dans cette histoire si ce n’est le rajout de quelques scènes pour que l’histoire « colle » vraiment.

François Ozon

« Tout s’est bien passé » est donc l’histoire d’un père atteint d’un AVC alors qu’il a 84 ans. Depuis, il a perdu beaucoup de son autonomie. Il décide alors, contre l’avis de ses filles, d’avoir recours à la mort dans la dignité. Il charge Emmanuèle de prendre toutes les informations utiles pour qu’il puisse arriver à obtenir ce qu’il souhaite vraiment. On comprend vite que la relation qu’il entretenait avec Emmanuèle depuis son enfance n’était pas une relation très sympathique mais plutôt pleine de reproches et de mauvais mots. Alors qu’Emmanuèle tente de dissuader son père de passer à l’acte, il n’hésite pas à la remballer comme une malpropre ou d’être blessant par des phrases telles que « mais qu’est-ce que tu étais moche quand tu étais petite. » André Bernheim était visiblement un homme sadique envers Emmanuèle, ce qui pourrait expliquer pourquoi il lui demande de l’aider et non à son autre fille Pascale.

André Dussolier

C’est certain, « Tout s’est bien passé » est une œuvre émouvante et forte où l’on est en droit de se poser mille et une questions si nous étions dans cette situation, que ce soit celle d’André ou des filles. Dans le rôle du père, nous avons droit à un André Dussollier exceptionnel. A un point tel que, s’il devait décrocher le Prix d’interprétation, je ne serais pas étonné. A ses côtés, Sophie Marceau interprète le rôle d’Emmanuèle alors que Géraldine Pailhas, plus en retrait, interprète Pascale. Un trio qui marche bien grâce à l’osmose qui règne entre eux. On n’oubliera pas non plus Hanna Schygulla, prix d’interprétation à Cannes en 1983 pour « L’histoire de Piera » de Marco Ferreri, que l’on revoit toujours avec grand plaisir et que l’on regrette de ne pas voir plus souvent.

Sophie Marceau

Ce que l’on pourrait reprocher à François Ozon, c’est plutôt le ton de la légèreté qu’il utilise, tant dans les propos des protagonistes que dans sa mise en scène. Cela dit, les quelques scènes d’humour peuvent surprendre, mais ces situations ont belles et bien existées et il aurait été dommage de les retirer. Elles ont aussi permis à François Ozon d’éviter le pathos. Quoi que, ce n’est pas parce que l’on parle de la mort de manière sérieuse que l’on est pathologique.

JANE PAR CHARLOTTE

Cannes 2021 : Ozon Vs Gainsbourg

La mort justement, on en parle dans le documentaire de Charlotte Gainsbourg consacré à sa mère Jane Birkin. Mais elle est plutôt en filigrane vers la fin du film. Avant, bien avant la fin, nous assistons plutôt à des conversations intimes entre la mère, qui rappelle qu’elle avait demandé l’autorisation à Charlotte, alors âgée de 15 ans, pour toucher ses seins et de Charlotte de répondre qu’elle avait fait la même demande à sa fille Alice mais que cette dernière avait refusé. On entre vraiment dans l’intimité de l’interprète de « Ex-fan des sixties », dans sa maison bordélique en Angleterre « c’est plus fort que moi, je suis incapable de jeter quoi que ce soit, même le barbecue tout cassé que Serge m’avait acheté » avoue-t-elle, de ses relations avec John Barry, le papa de Kate aujourd’hui disparue, plongeant alors Jane dans une longue dépression et bien entendu de Serge Gainsbourg : « on était tout le temps bourré, du matin au soir et en plus, on prenait des somnifères » avoue-t-elle à Charlotte puis curieusement, ne s’étend pas sur sa relation avec le réalisateur Jacques Doillon, avec qui elle a eu une fille prénommée Lou, si ce n’est « j’ai arrêté de boire quand je me suis mis avec Jacques mais je n’ai pas arrêté les somnifères ». 

Filmé comme une vidéo familiale amateur, avec un mauvais cadrage et des images floues, on a l’impression d’être des voyeurs entrant dans leur vie intime, tellement intime que Charlotte nous emmène au 5bis rue Verneuil à Paris, le lieu de résidence de Serge Gainsbourg. Un endroit qui devrait être transformé en Musée en hommage à Serge, où tout est resté à sa place depuis la disparition du chanteur en mars 1991. Sur une table, un paquet de gitane et son Zippo, dans le cendrier quelques mégots, dans les placards des boîtes de conserve « certaines ont explosé » dit Charlotte ajoutant « je ne savais pas qu’elles pouvaient exploser », le frigo n’a jamais été vidé. On sent que Charlotte n’a toujours pas fait le deuil de la disparition de son père. On sourit alors en voyant quelques photos de famille avec Serge, Jane parfois Kate ou Charlotte ou les deux. Même chose lorsqu’elle nous montre quelques films d’époque mais Jane ne peut s’empêcher de tourner la tête lorsqu’elle voit Kate enfant.

Géraldine Pailhas

On se demande pourquoi Charlotte a voulu faire ce documentaire si intime à un point tel que les magazines people doivent pâlir de jalousie face à tout ce déballage. Peut-être que Charlotte avait besoin de cela pour retrouver un certain équilibre et que certaines questions sont plus faciles à poser devant une caméra qu’entre quatre yeux. Mais j’avoue que, même en tant que fan de Jane et Serge, je ne comprends pas vraiment ce que cette œuvre peut m’apporter et apporter au grand public.

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