FESTIVAL DU FILM ITALIEN DE VILLERUPT

Rencontre avec Marco Tullio Giordana

Thibaut et Brigitte DEMEYER

« LES CINÉASTES SONT DES ARTISTES QUI NE SONT JAMAIS SEULS »

« Mes meilleures années » n’est pas seulement le titre d’un film de Marco Tullio Giordana. Il s’agit aussi du livre d’Oreste Sacchelli, délégué artistique du Festival du Film Italien de Villerupt, qu’il consacre au réalisateur de « Piazza Fontana ». C’était aussi l’occasion de rencontrer ce réalisateur, venu spécialement d’Italie, pour la promotion du livre qui fera le bonheur des amoureux du cinéma.

De g. à dte : Oreste Sacchelli et Marco Tullio Giordana (c) Thibaut Demeyer

Marco Tullio Giordana, vos films ont été primés dans les plus grands festivals tels que Cannes, Venise, Locarno mais aussi ici à Villerupt avec deux Amilcar, celui de la presse et de la ville. Quelle est votre relation avec ce Festival ?

Je suis venu ici la première fois en 1995 pour présenter mon film « Pasolini, mort d’un poète ». A l’époque, c’était encore un tout petit festival et je l’ai vu grandir et devenir toujours plus important et formidable. J’ai vu à Villerupt beaucoup de films que j’avais oublié, c’est donc une vitrine incroyable du cinéma italien.

Où sont vos Amilcar ?

Ils sont l’un devant l’autre. Ils se parlent, je pensais que les Amilcar avaient la nostalgie de Villerupt alors je les ai mis l’un en face de l’autre comme ça, ils peuvent parler de Villerupt. C’est une très belle sculpture. Je l’aime beaucoup, cela me rappelle des jours très amicaux dans la ville et surtout l’expérience de voir les films des collègues.  

C’est important pour vous tous ces prix ?

Oui c’est important. Pas du point de vue fétichisme mais bien du point de vue affectif parce qu’ils me rappellent des amis, des gens que j’ai connus.

(c) Thibaut Demeyer

Ce livre « Mes meilleures années » écrit par Oreste Sacchelli et dont vous êtes également le co-auteur, est-ce le premier livre que l’on écrit sur vous ?

En Italie on a écrit quelques livres d’études sur moi. Mais il y a une dizaine d’années cela s’est arrêté quand j’ai fait le film « Une fois que tu es né, tu ne peux pas te cacher » c’était un film de 2005. Le livre d’Oreste arrive jusqu’au futur car il parle déjà du film qui va sortir sur Netflix « Yara ». C’est un film qui parle de mon travail pendant quarante ans et ma relation avec la France parce que c’est un pays qui m’a toujours accueilli et qui a eu mes films depuis le premier. D’ailleurs, je considère la France un peu comme une seconde patrie.   

Dans le livre, Oreste Sacchelli fait des commentaires par rapport à vos films. Avez-vous eu un droit de regard sur ce qu’il a écrit ou avait-il carte blanche ?

Non, parce que je pense que quand vous faites un film, le jugement doit être pur, il ne faut pas les conditionner. S’il n’est pas arrivé ce que vous voulez, c’est de votre faute et pas celle de celui qui regarde le film. Toutes les considérations faites par Oreste Sacchelli ont donné une lumière nouvelle sur mon travail que je n’avais même pas suspectée. Je lui en suis très reconnaissant pour cela.

Vous avez réalisé 15 films en quarante ans. Le livre les suit chronologiquement mais c’est vous qui avez toujours le dernier mot en concluant chaque chapitre relatif à un de vos films.

Il y avait des interviews sur mes films, depuis une dizaine d’années voire une vingtaine d’années ; et à la fin, il y avait une considération pour laquelle je peux dire aujourd’hui que j’ai passé beaucoup de temps ; et je peux voir mes films avec une certaine distance car aujourd’hui, je les vois plus comme une œuvre où je peux me dire que peut-être j’aurais pu faire mieux ou « oui, c’est bien. »

(c) Thibaut Demeyer

Vous l’avez dit, votre dernier film est actuellement sur Netflix. A mon sens, vous faites partie de ces rares réalisateurs qui ont un regard optimiste sur l’avenir du cinéma alors que certains disent déjà qu’il est mort.

Quand j’ai commencé, le cinéma était déjà mort selon les mauvais oiseaux. C’est comme le Pape, le Pape est mort, vive le Pape ou le Roi est mort, Vive le Roi (rires). Le cinéma va changer, c’est inévitable, il faut le suivre et l’anticiper. Il faut voir ce qu’il y a de bon sur les plates-formes et ce qu’il y a de mauvais et lutter pour changer les choses ou les améliorer mais pas refuser, on ne peut pas refuser par principe.

Oui mais d’un autre côté, le cinéma se regarde avant tout dans une salle où en plus il y règne une ambiance particulière.

Oui bien sûr. Mais regarder aujourd’hui avec la pandémie, les salles étaient fermées, vous n’avez pas pu voir de films. Pour moi, le mieux est de regarder les films dans l’endroit que vous préférez, où vous vous sentez bien, où vous êtes avec des amis. L’important surtout est que le film soit bon. Pour moi, je ne tiens aucune considération où le film a lieu. Certes, je préfère quand même que mes films soient vus sur un grand écran plutôt que sur un téléphone mais c’est le choix du spectateur, le film ne m’appartient plus.

Il y a trois œuvres que vous avez vues avant de devenir Marco Tullio Giordana qui ont marqué votre vie. La première est « Davy Crockett » lorsque vous étiez enfant et pour laquelle vous étiez persuadé qu’un personnage était réellement mort, puis « Blow Up » d’Antonioni que vous avez vu cinq fois la même journée et puis jeune homme à Paris, vous assistez au tournage de « Le dernier Tango à Paris » de Bernardo Bertolucci avec Marlon Brando.  

Ce sont trois films qui ont formé ma petite éducation cinématographique. Quand j’ai vu les « Aventures de Davy Crockett » au cinéma à l’âge de 5 ans et que j’ai vu cet homme se faire tuer, j’ai commencé à pleurer ; alors mon père m’a pris hors du cinéma pour m’expliquer ce que c’était le cinéma, que rien n’était vrai. J’ai donc pensé que l’on pouvait commencer à mentir, que ce n’était pas un péché, ce qui m’intéressait beaucoup à l’époque. Après, à 17 ans, lorsque j’ai vu « Blow Up » d’Antonioni, je suis resté complètement médusé par le film, je ne suis sorti de la salle qu’à la fin de la cinquième séance. A 22 ans, j’ai assisté à une journée de tournage du « Dernier Tango à Paris » en extérieur ; cela m’avait beaucoup touché parce que je voyais que tout le monde était ensemble, c’était un organisme collectif, on n’était pas seul. Les cinéastes sont des artistes qui ne sont jamais seuls, ils ne sont jamais abandonnés. C’est cela qui m’a fait pencher plus vers le cinéma que vers la peinture par exemple que j’aimais beaucoup à l’époque.

La mort, vous l’avez côtoyée de près à 50 mètres. Le 12 décembre 1969, vous êtes témoin d’un attentat à Milan. Dans quelle mesure cet attentat a-t-il influencé votre cinéma contrairement à Carlo Verdone qui réalise des comédies et pas vous ?

J’aimerais faire des comédies mais quand j’ai commencé à faire des films, je pensais dans la tradition du cinéma italien, qui a toujours raconté sa société et ses problèmes. Dans les années 80 ou fin des années 70, le cinéma était récalcitrant à parler de la situation politique parce que le vieux cinéaste ne comprenait pas vraiment ce qui se passait et c’était un échange de génération, je me suis senti obligé de faire ce type de films. Vous me rappelez l’attentat de « Piazza Fontana ». J’étais là, vu les conséquences, j’ai compris qu’il allait se passer quelque chose qui allait changer l’histoire de l’Italie. J’ai fait le film 42 ans après (ndlr : Amilcar de la presse en 2012) mais c’était quelque chose qui était en moi, c’était un rendez vous qui était fixé ce jour-là de 1969.

De g. à dte : Rocco Femia, éditeur; Marco Tullio Giordana, réalisateur; Oreste Sacchelli, auteur du livre “Mes meilleures années”.

« Mes plus belles années » d’Oreste Sacchelli est paru aux éditions Editalie. 266 pages – 20 euros.

Copyright photos galerie : Thibaut Demeyer