RENCONTRE AVEC DAVID OELHOFFEN, RÉALISATEUR
Présenté en compétition officielle au Festival du Film Francophone de Namur, « Le 4e Mur », tiré du roman éponyme de Sorj Chalandon, est une œuvre bouleversante signée David Oelhoffen avec en tête d’affiche Laurent Lafitte et Simon Abkarian. Rencontre avec le réalisateur. A Namur, Thibaut Demeyer et Brigitte Lepage.
Le pitch : l’action se déroule au Liban en 1982. Afin de respecter la promesse faite à un ami, Georges se rend à Beyrouth pour un projet risqué et utopique : mettre en scène Antigone de Jean Anouilh afin de voler un moment de paix au cœur d’un conflit fratricide. Les rôles seront tenus par des acteurs appartenant aux différents camps religieux et politiques. Mais rapidement, le projet prendra une tournure inattendue suite de la reprise des combats.
David Oelhoffen, pourriez-vous nous expliquer ce que l’on appelle « Le 4e Mur » ?
C’est une notion théâtrale qui a contaminé le cinéma. C’est ce qui sépare au théâtre le public de la scène et des comédiens, ce qui sépare le réel de l’illusion. Une pièce de théâtre a un mur à gauche, un à droite, un au fond et le 4e mur, c’est celui qui est invisible, abstrait, entre les comédiens et le public. C’est ce qui le protège du bruit que peut faire le public comme la toux, les remarques, les sonneries de téléphone pour que l’illusion continue. Cela s’applique aussi au cinéma, c’est quand l’acteur s’adresse directement au spectateur.
A quel moment avez-vous décidé d’adapter ce livre et pourquoi celui-là en particulier ?
J’aime beaucoup les romans de Sorj Chalandon, je les ai tous lus dont « Le 4e Mur ». L’adaptation cinématographique ne me paraissait pas évidente et ce, pour des raisons de production. Quand j’ai lu le roman, j’ai ressenti une émotion très brutale, un véritable coup de poing dans le ventre. J’étais très impressionné, d’autant plus que je ne l’avais pas lu dans l’optique d’une adaptation. En même temps, je me disais que l’adaptation ne devrait pas être simple, un film sur la guerre qui se passe au Liban dans les années 80 ne me semblait pas évident du point de vue fabrication du film. Et, je ne pensais pas qu’il y aurait un producteur assez fou pour se lancer dans ce pari ! Cela dit, le film n’a pas été facile à financer parce que le sujet faisait peur, le Liban a remis l’actualité à l’ordre du jour il y a 4 ou 5 ans, bien avant l’explosion du port de Beyrouth, tout le monde avait un peu oublié le Liban et les problèmes au Proche Orient. Et puis, il est question de théâtre, d’Antigone de Jean Anouilh. Tout cela n’est pas vraiment des éléments favorables pour financer un film facilement. Mais on y est arrivé malgré tout avec l’aide de la Belgique et du Luxembourg.
Ce qui est encore plus fou, c’est d’avoir été tourner là-bas, au Liban
C’était quasiment indispensable. C’est-à-dire que je n’ai jamais envisagé de le tourner ailleurs. Bien entendu, cela a posé des problèmes au niveau autorisation, mais je n’avais pas envie de recréer une sorte de Liban au Maroc par exemple. Cela aurait été très différent. Je pense que le film bénéficie du fait que l’on a tourné à Beyrouth, dans une ville qui porte encore les stigmates de la guerre civile qui a eu lieu de 1975 à 1990, qui est encore imprégnée de cela, avec des acteurs qui ont vécu cette histoire-là et qui la transpirent, qui la sentent. Pour qu’il y ait le 4e Mur, il faut qu’il y ait du réel et je crois que l’on a réussi à capter le réel du Liban et à faire traverser Georges, le personnage principal, de ce réel tragique vers la tragédie. Cela aurait été très difficile à faire ailleurs qu’au Liban. Après, oui, vous avez raison, il y a eu 1.000 aventures durant le tournage, par exemple, il n’y avait pas forcément de l’électricité tous les jours, plus de distribution d’eau, des autorisations de tournage qui disparaissent ou qui réapparaissent soudainement. Ça, c’est le mérite de la productrice libanaise qui a réussi à déplacer toutes ces difficultés pour tourner un film dans un endroit si particulier.
Comment avez-vous procédé pour représenter le massacre de Sabra et Chatila ?
C’était très impressionnant, tant pour l’équipe que pour moi, et même pour Laurent Lafitte, cette représentation du massacre de Sabra et Chatila. Du moins durant l’entrée du camp le lendemain. On a tourné dans un camp palestinien à Beyrouth, les figurants étaient palestiniens. La plupart ou leur famille avaient vécu cette histoire qui a eu lieu il y a quarante ans. Le tournage s’est passé au moment où les autres camps ont célébré les 40 ans des évènements.
Au niveau du casting, est-ce une mixité réelle puisque chaque religion est représentée par un personnage ou il s’agit d’acteurs, peu importe leurs origines religieuses ?
C’est l’équipe technique, et artistique, qui a reproduit cette idée parce qu’il y a des gens de toutes confessions, y compris chez les comédiens. Ensuite, le Druze ne joue pas forcément le rôle d’un Druze ou le chrétien ne joue pas forcément le rôle d’un chrétien. Mais on a veillé à représenter toutes les communautés, mais ne jouant pas leur propre communauté, et cela a très bien fonctionné. Les gens se connaissent parfaitement et c’est cela qui donne ce côté tragique. On a le sentiment d’un seul peuple.
Et puis, il y a cette symbolique démontrant que l’on peut avoir la paix grâce à la culture, au théâtre dans ce cas.
Oui, c’est ce que veut absolument démontrer Georges (alias Laurent Lafitte) et c’est ce que démontre le film. La guerre est une chose affreuse qui a une forme corruptrice que l’on n’imagine pas et qui peut s’immiscer partout, dans toutes les faiblesses de chaque être humain.
Pourquoi avoir choisi Laurent Lafitte pour ce projet ?
Je suis content qu’il ait accepté ce rôle pour deux raisons. D’une part parce que c’est un grand comédien qui est tout le temps juste et cela correspond, à mon avis, à un moment où il a eu envie de jouer ce type de rôle. A mon sens, il n’avait encore jamais joué un rôle aussi tragique, aussi loin de ce pour quoi il est connu, que ce soit la comédie ou la comédie dramatique où il excelle. En plus, il avait l’avantage de connaître le théâtre de l’intérieur pour avoir été longtemps à la Comédie française, ce qui m’a permis de me reposer sur lui pour les scènes de répétition théâtrale qu’il a d’ailleurs réussies à rendre vivantes et même parfois marrantes.
Le film sortira au Liban ?
Je l’espère. Là, ils sont sous les bombes, ce n’est donc pas le moment d’y aller. Moi j’ai très peur pour mes amis là-bas. Je suis en contact avec la productrice, avec certains des comédiens. Ils sont sous les bombes en ce moment. J’ai vraiment peur pour les gens qui ont fabriqué ce film. C’est très troublant comme situation d’avoir fabriqué des images d’une guerre qui a lieu dans les années 80 et que ce que l’on a fabriqué se retrouve dans le réel.
Notre avis :
« Le 4e Mur » est une œuvre forte et poignante qui ne peut nous laisser indifférent(e)s. Elle nous interroge sur le rôle de l’art en temps de guerre, sur le comportement des hommes face aux communautés religieuses différentes des leurs. « Le 4e Mur » est aussi une œuvre pertinente aux symboles marquants, servie par de très grands Laurent Lafitte et Simon Abkarian.
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