« ANIMALS » de Nabil Ben Yadir
“LE TELEPHONE PORTABLE EST UNE ARME“
Avec « Animals », le réalisateur belge Nabil Ben Yadir a secoué le public du Luxfilmfest où le film a été présenté en avant-première. Rencontre avec celui qui fut d’abord électromécanicien avant de devenir un des réalisateurs les plus doués du cinéma belge. Thibaut Demeyer.
Le titre du film se prononce « Animals » en français « Animals avec un s parce que lors du procès, un des meurtriers a dit « on n’est pas des animals ! » précise d’emblée le réalisateur Nabil Ben Yadir.
« Animals » est inspiré d’un fait divers atroce qui s’est déroulé en 2012 dans la région de Liège. Une bande de quatre garçons ont tabassé à mort un jeune homme, Ihsane Jarfi, parce qu’il n’était pas comme les autres.
D’emblée, avant la projection, le réalisateur de « La Marche » prévient les spectateurs « le film est constitué de trois parties, la seconde est assez difficile à regarder à cause de la violence. Si vous ne la supportez pas, fermez les yeux mais ne partez pas car il y a une troisième partie qui est importante. » De mémoire de cinéphile, il faut facilement remonter à des œuvres aussi fortes que « Funny Games » de Michael Haneke ou à « Irréversible » de Gaspard Noë pour retrouver une telle violence. Celle-ci est d’autant plus insupportable qu’elle est le reflet d’une réalité et qu’il n’y a aucune perversion de la part de Nabil Ben Yadir à vouloir nous montrer ce que l’on peut qualifier d’insupportable. « Je ne voulais pas une espèce d’esthétisation de la violence. La manière de filmer cette violence a pris des semaines de réflexion. Puis, le procédé de filmer avec le gsm est arrivé. On a essayé de frôler une réalité. C’est-à-dire, on a demandé aux comédiens, qui ne sont pas des professionnels, de filmer eux-mêmes avec leur portable. Nous, on était à 50 mètres et après chaque scène, on regardait ce qui avait été filmé avec les quatre gsm. C’était donc eux qui prenaient la narration en main. C’est ce qui donne ce côté réaliste et dérangeant tout en évitant cette esthétisation de la violence » explique le réalisateur de « Les Barons » ajoutant « pour moi cette partie, c’est le cinéma du point zéro, c’est le cinéma des réseaux sociaux, c’est le cinéma accessible à tout le monde. Ce qui m’intéressait, c’est que le gsm va décupler la violence car à mon sens, le téléphone portable est une arme. Il peut rendre incontournable, comme la mort de George Floyd, qui devient un moment incontournable et qui, en même temps, crée un mouvement. Par contre, utilisé d’une autre manière, il devient une arme parce que les gens qui se filment veulent être les plus beaux, les plus forts, les plus violents ; c’est une sorte de masculinité toxique et c’est ce qui rend cette violence totalement incontrôlable. C’est là que l’on se demande quand est-ce que cela va se terminer. Je pense vraiment que c’est le cinéma de point zéro. C’est le cinéma que l’on ne veut pas voir parce qu’on ne va pas le voir dans une salle de cinéma. C’est une espèce de cinéma underground qui existe. »
« Animals » est un long métrage que Nabil Ben Yadir qualifie de « particulier » compte tenu de sa manière de filmer, à savoir en format 4 :3, plan rapproché et profondeur de champs très courte. « J’adapte ma mise en scène en fonction de l’histoire. Ce qui doit être ennuyeux car finalement, est-ce que l’on doit reconnaître un réalisateur par sa manière de filmer ? Cela dit, je n’ai jamais autant kiffé en filmant de la sorte. Je pense que cette façon ramène à une certaine radicalité qui me donne envie de continuer à l’avenir dans cette direction-là » nous confie le réalisateur.
Nabil Ben Yadir, électromécanicien de formation, qui est arrivé un peu par hasard dans le monde du 7e art, a la particularité de réaliser des œuvres diamétralement opposées les unes des autres. Indéniablement, « Animals » est un long métrage qui marquera sa filmographie, hissant par là-même Nabil Ben Yadir au rang de grand réalisateur maitrisant de bout en bout une œuvre difficile, tant sur le fond que sur la forme. Alors oui, « Animals » est un film à ne pas mettre devant n’importe quels yeux à cause de scènes violentes, mais celles-ci sont représentées de telle manière qu’elles devraient servir de leçon à celles et ceux qui n’ont toujours pas compris qu’un humain reste un humain, quelle que soit sa différence.
Sortie prévue le 9 mars 2022.
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