Lorsque Madame Marguerite Bidange décéda à Arlon en 1811, elle était loin d’imaginer qu’un soldat profiterait de son passage à Arlon pour tagger un selfie sur le dos de sa pierre tombale en 1914.
L’excellent ouvrage de Mr G. Fairon sur l’ancien cimetière, présente cette pierre ainsi que la photographie et le relevé du portrait qui y fut gravé.
Le portrait montre un buste d’homme figuré de profil avec un casque à pointe, un nez aquilin, et un vêtement décoré de deux lignes verticales de boutons circulaires.
Le casque à pointe identifie tout de suite un soldat prussien ou allemand, puisque ce type de casque fut porté par les troupes des royaumes germaniques à partir de 1842, et ne l’était plus au début de la Seconde Guerre Mondiale, en 1939.
Si on regarde les périodes de vacances allemandes à Arlon avant 1939, la plus connue reste l’arrivée des troupes impériales du Kaiser Guillaume de Prusse selon le plan Schlieffen, en 1914.
Le casque à pointe, ou Pickelhaube, comporte un grand protège-nuque, ce qui désigne un régiment de cavalerie lourde, comme les cuirassiers, qui portaient le casque modèle 1894.
En effet, l’attention du graveur se marque beaucoup autour des détails de la pointe du casque, ainsi que sur le profil du protège-nuque, comme pour en souligner la spécificité.
Au contraire de cette coiffure, l’infanterie et l’artillerie allemandes portaient un casque à pointe sans protège-nuque ou un schako, pour les chasseurs.
Les régiments de cavalerie légère arboraient un colback de fourrure, pour les hussards, un casque à pointe léger ou un schako, pour les chasseurs et les dragons, ou une tschapska, pour les uhlans.
(Copyright https://fr.wikipedia.org/wiki/August_von_Mackensen)
(Copyright https://redarmyscreaming.tumblr.com/post/173160177152/manfred-von-richtofen-in-uhlan-uniformthe-red).
La double rangée de boutons identifie une petite tenue de ville d’officier, à partir du grade de sous-lieutenant, jusqu’au grade de général, ou le grand manteau à deux rangées de boutons des officiers en 1914.
Ce modèle de tunique M1903, surnommée la “Litewka”, ou “petite lithuanienne” en Polonais, ne fut remplacée par la tunique de combat kaki à une seule rangée de boutons, la
Feldgraue Waffenrock M1910, que pendant les grandes manoeuvres du Kaiser en 1913.
Malgré cela, quelques portraits d’officiers impériaux, prussiens ou non, démontrent une certaine survivance de la Litewka pendant la première année de la guerre.
Néanmoins, le modèle de la tunique changera encore à partir de 1915, avec la Kleine Rock M1915/1916, qui reprend le modèle à deux rangées de boutons de la Litewka.
Associée au casque porté par le dessin, cette tunique précise que l’homme devrait être un officier de Cuirassiers allemands en petite tenue de sortie vers 1914, à Arlon.
Un seul régiment de cuirassiers prussiens était, le 10 août 1914, à Luxembourg, puis passa sans doute par Arlon, où les Allemands avaient installé un hôpital de campagne.
De là, il partit pour arriver à Bastogne le 20 août 1914, afin de combattre à la Bataille de Neufchâteau trois jours après, avant d’aller s’enliser dans la Guerre des Tranchées.
Cette unité était le Kaiserliches Regiment n°8 – Kürassier-Regiment „Graf Gessler“, garnisonné à Deutz, sur le Rhin, près de Cologne, dont le colonel titulaire n’était autre que le roi d’Angleterre George V, cousin du Kaiser Guillaume II, sans doute absent au moment de l’invasion.
Le régiment appartenait à la 15ème Division d’Infanterie du Generalleutnant Julius Riemann, évoluant au sein du VIIIème Corps d’Armée commandé par le General der Infanterie Erich Tülff von Tschepe und Weidenbach, intégré dans la IVème Armée Impériale de campagne sous les ordres du Generaloberst Albert de Wurtemberg, appuyé par le Generalleutnant Walther von Lüttwitz.
L’armée du Duc de Würtemberg était partie de Trèves, pour traverser le Luxembourg et la Belgique, afin de vaincre la France par un grand mouvement tournant à travers le Massif Ardennais, selon le Plan Schlieffen.
L’un de ses 227 600 hommes trouva sans doute le temps d’aller se balader dans le vieux cimetière d’Arlon, entre le 10 et le 20 août, et d’y graver le portrait d’un personnage important.
Ce personnage pouvait être lui, ou quelqu’un de plus important encore, car aucun des généraux présents sur place à cette époque n’y correspond.
Première hypothèse, la photo de l’Oberleutnant Baron Charpentier, du 8ème Régiment de Cuirassier Impériaux, ressemble fortement à ce graffito.
C’est un homme qui portait un uniforme similaire, au sein du 8ème Régiment de Cuirassiers, pourrait avoir voulu faire de même pour marquer son passage à Arlon.
(Copyright https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/ae/Helmuth_von_Moltke.png).
Deuxième hypothèse, le graffito représente le Général Moltke, fils du célèbre Maréchal dont un Régiment d’Infanterie impériale portait le nom.
En effet, le FR 38 – Füsilier-Regiment „General-Feldmarschall Graf Moltke“ évoluait au sein de la 11ème Division d’Infanterie du Generalleutnant Richard von Webern, dans le VIème Corps
d’Armée du General der Infanterie Kurt von Pritzelwitz.
Si l’attitude est la même, le casque diffère par le couvre-nuque.
Troisième hypothèse, et la plus vraisemblable, la main qui tagga la pierre tombale voulu marquer le passage d’un homme habitué à porter un casque de cuirassier.
De plus, il traversa sans doute Arlon plus d’une fois pour aller sur le front, en utilisant la voie ferrée qui traverse le pays, comme lorsqu’il alla à l’abbaye de Maredret, le 23 juin 1916.
Cet officier, que tous voulaient voir et dont certaines photos ou portraits représentés sur des médailles étaient distribués, correspond en de nombreux points avec ce graffito.
C’est le Kaiser Guillaume II de Prusse, qui apparaît notamment sur les médailles célébrant le discours de l’Empereur le 04/08/1914.
Cette pierre tombale était encore dans le Cimetière d’Arlon, Rue des Thermes Romains, en 2019, mais je n’ai pas pu l’y retrouver en 2022.
Cette pierre tombale fut étudiée dans l’excellent livre de Monsieur Guy Fairon Inventaire des monuments funéraires du vieux cimetière d’Arlon. Les monuments qui se trouvent encore dans l’enceinte ou à proximité du vieux cimetière, 2018, Cahiers du Groupe de Recherches Aériennes du Sud Belge GRASB, n° 47.
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